Quand le passé vous rattrape [PV Choi Hye Sun]

Ça commence toujours de la même manière : un endroit tranquille, une ambiance décontractée et agréable, un cadre propice à une rencontre. Une femme. Celle pour qui notre regard s’est immédiatement attardé, celle qu’on veut automatiquement inviter à prendre un verre, parce que l’envie nous en prend. Mais avant cela, il est important d’analyser ses chances : va-t-elle répondre positivement à mon offre ? Que pense-t-elle de ce genre de pratique classique ? Ne vaut-il pas mieux se lancer maintenant plutôt que de se poser trop de questions ? Seung Woo n’en était pas à sa première conquête et connaissait suffisamment les femmes pour appréhender leurs pensées, quoique certaines puissent le surprendre. La pièce centrale était noire de monde, tous les sofas étaient occupés et il ne restait guère de place au bar. Un piano à queue, placée sur une estrade au centre, émettait des sons doux et chaleureux, un fredonnement de jazz qui ajoutait une note chic. Il se doutait qu’en mettant les pieds ici, il ne pourrait tomber que sur des femmes aux goûts exquis, fortes et indépendantes, le genre de femmes qui vous donne du fil à retordre, ce qui est autrement plus excitant.

Un costume sobre et élégant, une chemise sans autres accessoires que des boutons de manchette à peine visibles, on ne pouvait cependant pas faire d’erreur sur sa personne. Rien à voir avec ces mecs vautrés au bar, semblables à des vautours, qui balayaient la salle du regard à la recherche d’une aventure d’un soir. La différence entre eux et Seung Woo ? Le style peut-être ? Il se doutait que même au moment de rompre, il avait plus de classe que ces incompétents, ce dont il n’était pas peu fier. Il descendit un escalier et fit son entrée dans la plus grande discrétion qui soit. Une démarche fluide, assurée mais sans trop de prétention, les yeux observateurs sans être rivés sur quelqu’un en particulier, il avait fait ça des milliers de fois. Le lieu avait beau être différent, l’épilogue en serait identique ou presque. Parfois, il se contentait d’échanger un nom et un numéro, en vue d’une prochaine rencontre. Les femmes n’aimaient pas précipiter les choses…alors lorsqu’elles se donnaient à lui trop facilement, il savait pertinemment que l’ennui le gagnerait bien vite.

Après avoir fait état des lieux, il s’installa au bar, à l’écart du groupe de rapaces, dans un coin plus isolé et tranquille. Il commanda un verre de whisky glacé et attendit quelques minutes avant d’oser poser ses prunelles sur la belle qui se tenait à côté de lui. Il ne s’éternisa cependant pas, préférant goûter au breuvage ambré qu’on venait de lui servir plutôt que de passer pour un pervers sans retenue. Il sentit le liquide brûler ses papilles avant de prendre possession de sa gorge. Il reposa le verre non sans un soupir de délectation, trouvant cette soirée de plus en plus plaisante. Il s’amusa un moment à tourner son verre, écoutant le bruit de la glace contre le cristal, avant de se tourner vers la salle et quitter sa chaise. A peine avait-il levé le camp qu’un chasseur s’empressa de prendre sa place pour s’adresser à la demoiselle.

" Bonsoir ma mignonne. T’es toute seule ? T’as besoin d’un peu de compagnie ? "

Sans attendre de réponse, il avait déjà rapproché son siège pour être au plus près d’elle. Ses yeux brûlaient d’envie et il était clair que ce n’était pas sa conversation qui l’intéressait. Seung Woo observa la scène non sans un certain amusement lorsqu’elle lui répondit froidement d’aller voir ailleurs. Comme s’il avait le cran de baisser les bras tout de suite ! Il revint à la charge, passant cette fois son bras sur le dossier de la chaise de la jeune femme, essayant tant bien que mal d’expliciter les choses alors qu’il s’enfonçait. C’était pathétique. Une honte pour tous les hommes. Il s’apprêtait à faire un geste déplacé lorsque notre Casanova l’interrompit en se plaçant entre lui et la belle.

" Vous n’avez pas compris ou vous êtes stupide ? Ma fiancée vous a demandé de vous éloigner alors déguerpissez, c’est pourtant clair non ? "

Un ton détaché, neutre mais froid. Un regard entendu et un grognement de la part du fauteur de trouble, repartant la queue entre les jambes tandis que Seung Woo reprenait son siège, non sans remettre la chaise à sa place initiale, soit quelques mètres plus loin de la jeune femme. Il se contenta de s’installer, sans dire quoique ce soit, comme s’il n’avait rien fait. L’intervention de cet homme était une aubaine qu’il fallait savoir saisir. Maintenant, restait à savoir si oui ou non elle serait en mesure de récompenser le preux chevalier, par un simple échange verbal ou peut-être une compagnie plus longue. Il ne devait pas espérer parce que cette intervention pouvait tout aussi bien la contenter que l’agacer au plus haut point. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était attendre et voir la réaction de la belle.

Le regard périphérique, vous connaissez ? Sans bouger de sa chaise, il remarqua que la belle se levait de son siège pour s’approcher de lui, un geste on ne peut plus éloquent : un remerciement en bonne et due forme, comme il aurait pu le souhaiter. Tandis qu’il tournait légèrement la tête pour lui faire face, il sentit sa joue devenir soudainement douloureuse, un sentiment désagréable et vif : une claque.

" Espèce d'enfoiré ! Pour qui tu te prends ? "

Il cligna des yeux en découvrant le visage déformé de rage de son interlocutrice, se demandant s’il avait loupé un épisode. Ne venait-il pas de la secourir d’un homme collant, lui empêchant du même coup de passer un sale quart d’heure en mauvaise compagnie ? Aussi, à aucun moment il n’avait réclamé quelque chose de sa part, jouant le parfait gentleman jusqu’au bout. Alors quoi ? Ce type était peut-être son ex et elle tentait de le reprendre à l’aide d’un jeu de séduction qui consistait à le repousser sans cesse ? Il en doutait mais face à cette attitude incompréhensible, tout scénario pouvait être validé. Il passa une main absente sur sa joue brûlante avant de la regarder à nouveau. Malgré son expression haineuse, elle avait quelque chose de naturellement simple qui le charmait. Peut-être parce qu’elle ne tentait pas de jouer l’hypocrite ? Il s’éclaircit légèrement la gorge avant de demander à la jeune femme.

" Pardonnez-moi..? J’ai raté quelque chose ? Parce qu’il me semble qu’entre cet homme et moi, je suis le plus civilisé des deux, non ? "

Il scruta ses yeux, interrogateur et véritablement perdu. Même si ce type était son ex, il ne voyait pas pour quelles raisons elle pouvait s’accrocher à lui : il n’avait aucune allure, aucun style et son vocabulaire...comment osait-on souiller la langue coréen de la sorte ?! S’il n’avait pas agi aussi familièrement avec elle, jamais Seung Woo ne lui aurait accordé un regard. L’indifférence était maître mot face à des erreurs humaines…et il était loin de se douter que pour elle, il en faisait partie.

" Je ne vous demandais pas même votre nom alors une claque…c’est assez surprenant comme remerciement ! "

Il sourit, plus amusé et surpris qu’énervé contre la belle coréenne. D’un autre côté, il n’aurait peut-être pas du s’interposer, interprétant mal son refus. Si elle aimait les beaufs, c’était son problème et tant pis pour Seung Woo. Des femmes, il y en avait à profusion dans ce bar et même si elles étaient déjà avec quelqu’un, il pouvait toujours s’amuser un peu en évaluant ses capacités à les faire tomber dans ses bras. Bien sûr, ce serait moins drôle que s’il avait eu à faire à un peu de résistance, surtout que celle pour qui il avait jeté son dévolu paraissait réellement difficile à atteindre. Ce n’était pas la première fois qu’il recevait des insultes au visage mais en général, il parvenait à s’éclipser avant : lâche ? Oh que oui ! Il avait beau le reconnaître et parfois se faire force en acceptant ce passage obligé, la facilité était une tentation à laquelle il avait du mal à ne pas céder. S’endormir auprès de sa dulcinée, se réveiller en avance et laisser comme dernière trace de leur nuit un doux message, dans lequel il jurait qu’elle méritait mieux…c’était tellement cliché que ça fonctionnait à la perfection ! Il essayait toujours de ne pas raconter de mensonges plus gros que lui, comme par exemple un mariage arrangé ou un poste à l’étranger. Sa situation était tellement changeante qu’elles ne pouvaient pratiquement pas vérifier ses dires, ni même le retrouver. Il se savait chanceux et en abusait, d’où son manque total de discernement ce soir, face à l’une de ses anciennes conquêtes qu’il n’aurait jamais du oublier.

" Je suis Kang Seung Woo et si vous désirez me frapper encore, il vous faudra d’abord me donner un prénom. "

Il évita précisément son regard en hélant le barman pour demander deux coupes de champagne, une Veuve Clicquot ferait l’affaire pour fêter dignement ce moment intense de sa vie. Vraiment ! C’était une première ! Il sourit à nouveau en songeant à cette allusion…à quand remontait sa première fois ? Un homme à femmes au passé aussi sulfureux que lui ne pourrait vous répondre, même avec toute la meilleure volonté du monde. Chaque fois était une première fois, puisqu’il ne connaissait pas véritablement sa partenaire. Il lui suffisait de prêter une oreille attentive à ses histoires, être de temps à autre romantique avec des fleurs ou une chanson et enfin, investir dans des folies, des extravagances, signes d’un amour passionné et sincère. Cette pratique variait bien évidemment selon les envies de sa compagne mais le prototype était un modèle de réussite.

Le barman leur apporta le pétillant dans des flûtes colorées qu’il tendit à Seung Woo. Celui-ci en déposa une sur le bar devant la jeune femme et garda l’autre dans sa main. Il chercha du regard les prunelles noisette de son geôlier et esquissa un faible sourire. Il semblait parfaitement sincère et c’est le plus naturellement du monde qu’il reprit la parole.

" Je suis désolé si je vous ai froissé et j’espère que vous ne m’en voudrez pas éternellement. "

Il vit le visage de la demoiselle passer de la surprise à l’incompréhension avant d’essayer une pseudo impassibilité pour reprendre un air troublé. C’était comme si elle ne s’était pas rendue compte de son geste, comme si quelqu’un d’autre avait agi à sa place…du moins, c’était ce qui transparaissait le mieux en surface. Il sourit lorsqu’elle expliqua son élan incisif : le mettait-elle obligatoirement dans le même sac que ce type sans manière ? Cette réponse n’avait peut-être pas l’effet d’une bombe, mais cela valait bien une deuxième claque. Lui qui avait de l’éducation et un sens hors pair de la courtoisie…Bref, il ne prêta pas attention à son jeu de jambes – et quelles jambes ! – tandis que le coyote qui était en lui hurlait d’envie, avant de reposer son regard sur elle, attentif à ses réactions. Lorsqu’elle passa une main dans ses cheveux, il songea qu’elle devait le faire assez souvent, comme une habitude à laquelle elle ne penserait plus. Cette façon de faire semblait familière, même s’il était certain de ne jamais l’avoir rencontrée à Seoul. Elle n’avait rien d’une aguicheuse bien qu’elle savait comment se mettre en valeur : une tenue classique et élégante avec juste ce qu’il faut de touche personnelle. Il appréciait ce genre de femmes et ne doutait pas un seul instant de son fort caractère.

Elle devait revendiquer son indépendance et jouer de son célibat comme carte maîtresse, un joker lui permettant davantage de considération de la part de ses amies et collègues, tant féminines que masculins. A moins qu’elle ne soit déjà prise ? Peut-être…mais qu’importe ! Ce qui l’intéressait, c’était elle : pas son statut ni son compte en banque, juste elle. Une ambitieuse qui ne craignait pas d’avoir du pain sur la planche, une bosseuse particulièrement compétente, il l’imaginait ainsi et comprenait qu’elle se méfie de ces mâles affamés, la dévorant du regard, elle…la plus délicieuse des femmes. Il se contenta de soupirer légèrement lorsqu’elle lui fit comprendre qu’elle ne pouvait lui en vouloir, même si un hochement de la tête semblait perceptible. Elle n’avait précisément aucune raison d’en vouloir à un homme qui s’était permis de lui épargner un mauvais moment en compagnie d’un autre. Mais alors qu’il songeait à comment l’approcher, elle le devança en faisant allusion à un autre jeu tout aussi amusant. Il chercha ses yeux et ne put réprimer un autre sourire. N’était-ce pas une invitation à peine dissimulée ? Impressionnant…la manière dont elle passait du froid au chaud sans laisser le temps à Seung Woo de se préparer.

" Volontiers. Ce sera avec grand plaisir que je vous prouverai que je ne suis pas de leur monde ", dit-il en désignant de la tête la bande de rapaces.

Elle avait beau changer du tout au tout, il retint qu’elle n’avait pas encore dévoilé son nom. Devait-il l’interpréter comme un refus ou une manipulation volontaire pour savoir si oui ou non il était véritablement intéressé ? La seconde option semblait plus plausible, surtout après ses derniers mots. Il préféra patienter encore, histoire de lui prouver que rien ne pressait, qu’il avait tout son temps pour lui montrer qui il était, avant de replonger ses yeux dans les siens, semblables à des perles noires. Le fait qu’elle ne veuille toujours pas se présenter pouvait passer pour un manque manifeste de politesse mais ici, il ne devait rien lui reprocher…parce qu’il comptait bien la séduire. Il se connaissait un certain charme mais ne voulait pas trop en jouer, de peur de passer pour un parfait vantard. Il devait rester digne et classe, un gentleman, comme elle l’avait si justement souligné.

" D’abord, il me faut vous confier que je ne peux que comprendre qu’ils soient attirés par vous. Le fait que ce type ait agi si familièrement par contre, était déplacé et vulgaire. Mais je crois avoir jusque là réalisé un parcours sans fausse note…à moins qu’en vous appelant ma fiancée j’ai dépassé les bornes..? "

Il laissa sa phrase en suspens, scrutant une réaction dans ces prunelles couleur ébène. Il avait du mal à déchiffrer ce qu’elle pouvait ressentir et en cela, c’était d’autant plus amusant. Corser le jeu ne pouvait que le rendre meilleur, non ? Il passa une main gênée dans sa nuque, usant d’une fausse timidité trop réaliste pour qu’on puisse y déceler le piège. Lui qui, quelques minutes plus tôt, avait l’air déterminé et sûr de lui, il montrait une toute autre facette plus personnelle dirons-nous. Il retourna à sa coupe et prit son temps pour boire. Sa décision était sans appel : il ne voulait aucune autre fille mais elle. Quoique cela puisse lui en coûter, quoiqu’il soit obligé de faire pour l’atteindre, il réaliserait ses moindres souhaits : parce qu’il voyait les choses en grand et vivait à fond ses histoires, même si elles ne duraient qu’un temps.

" Je ne doute pas que vous vous en seriez très bien sortie sans moi mais j’espérais qu’en m’interposant, j’aurais la chance de converser avec vous, ne serait-ce que quelques minutes. "

Il se noya dans ses yeux, les fixant avec beaucoup d’intérêt, envoûté et charmé. Un silence s’installa et déjà, il ne prêtait plus attention au reste du monde - ouais bon grosso modo, la scène pouvait ressembler à cela dans un film à l’eau de rose -. Si cela ne tenait qu’à lui, il aurait quitté sa chaise, saisissant sa main pour l’emmener ailleurs sans quitter ce tendre contact. Ne pas précipiter les choses, c’était la clé de succès…à moins qu’elle ne veuille elle-même passer à la vitesses supérieure ? Auquel cas, le destin aurait été un allié formidable pour Seung Woo. Il sourit encore, de nouveau gêné, avant de se retourner pour faire face au bar.

" Vous vous apprêtiez à passer une soirée tranquille et voilà que deux acolytes viennent chambouler vos plans…Excusez ma franchise mais je trouvais juste de vous tenir au courant de mes intentions premières. "

Premières ? Oui parce que les suivantes risquaient d’être un peu moins politiquement correctes.

Depuis quand le ciel lui offrait pareilles récompenses ? Peut-être pourrait-il croire aux bonnes étoiles finalement ? Parce qu’en plus d’être seule, on lui avait posé un lapin. Quel outrage ! Une si belle jeune femme laissée pour compte : il était difficile de masquer son sourire à cet aveu. Un petit ami n’aurait jamais abandonné une telle fille dans un bar, qu’importe sa réputation de club d’élites. D’abord, parce qu’il aurait été jaloux, possessif et hors de lui de la prendre à discuter avec un autre, même s’il s’agissait d’une conversation banale. Ensuite, parce qu’il serait avec elle en ce moment même, l’accompagnant autour d’un verre, incapable de détacher ses yeux d’elle. Il l’observa boire, tandis qu’elle laissait aller son index le long de la flûte, soutenant son regard entendu. Il fronça légèrement les sourcils, trouvant cette attitude plutôt étrange. Elle venait de rembarrer un gros lourd et maintenant, elle faisait des avances à son preux chevalier ? Pourquoi pas…quoique ce retournement de veste signifiait qu’il s’était trompé à son sujet.

Tout à l’heure sur la défensive, elle était carrément provocante. C’était un peu trop simple mais il était trop tard pour faire machine arrière : il la désirait toujours, peut-être pas autant qu’au premier regard, mais elle restait divine. C’était bien ça le problème : la lassitude. En quelques minutes, il en avait déjà assez vu et entendu pour analyser qu’elle s’essayait régulièrement à ce genre de pratiques. Il ne serait certainement pas celui qui lui ferait la morale sur le nombre de partenaires qu’elle pouvait avoir mais trouvait cela dommage. De quel droit, me diriez-vous ? Un homme aux multiples conquêtes est un Casanova, un Don Juan ou un Bel Ami…mais une femme aux nombreux amants..? Là-dessus, le regard de la société n’avait pas évolué et c’était bien dommage pour ces dames ! Lui pouvait toujours jouir d’une meilleure image, qu’il soit ou non un salaud de première.

" Dois-je comprendre qu’il y en aura d’autres ? "

Feindre l’innocence…ou la stupidité. Au choix. Il avait très bien cerné là où elle voulait en venir mais c’était assez brusque. Lui proposer un nouvel endroit, plus intime, dans l’immédiat, c’était s’offrir à elle. Il devait résister encore, juste un peu plus longtemps, un peu de patience supplémentaire finirait par payer ensuite. L’appel du coyote était certes fort, mais il saurait garder sa raison intacte. Il fit mine de chercher quelque chose dans sa veste, sortant un simple portefeuille en cuir avant de lui tendre sa carte de visite. Bien entendu, un numéro personnel y figurait à l’arrière : une façon directe mais affable de lui proposer un autre rendez-vous, plus tard, un jour, un déjeuner…demain ? Il sourit lorsqu’elle la saisit : il possédait sa propre agence immobilière, depuis quelques semaines seulement, mais elle ne pouvait être au courant. Il s’était d’ailleurs empressé de faire imprimer de nouvelles cartes, histoire d’en épater plus d’un. Réussite oblige !

C’était peut-être le seul endroit où l’on pouvait prétendre connaître le véritable Kang Seung Woo. Son ascension, il ne la devait à personne d’autre que lui et en cela, il devançait certains des meilleurs partis de Corée. Il ne se contentait pas de reprendre l’entreprise familiale, comme la plupart : il avait entièrement bâti la sienne. Un rêve plus accessible qu’il ne l’aurait cru et maintenant, il était devenu réalité. Sortez vos mouchoirs Mesdames Messieurs, le Grand Seung Woo mérite qu’on soit ému ! Bien sûr qu’il aurait pu s’en vanter, bien sûr qu’il aurait du le faire…mais c’était se retrouver au même rang que ces mecs pour qui il n’avait que du mépris. D’où se permettaient-ils d’être arrogants et fiers ? Qui leur payait leurs études, leurs voitures de sport et autres vacances à l’étranger ? Qui leur assurait un avenir sans souci de finances ? Papa ? Ils devraient se cacher de honte ou au moins se faire très, très petits. Son expression avait du changé car il sentait un regard persistant posé sur lui. Il fut tiré de sa rêverie et sourit de toutes ses dents à la jeune femme qui se tenait à côté de lui.

" Si vous me permettez de vous inviter à nouveau, pourrais-je au moins savoir qui vous êtes ? "

Un ton délicieusement curieux, presque implorant, avide de savoir. Oh que oui il était fin stratège…mais ce n’était rien par rapport à ce qu’elle préparait. Mais pourquoi ne pouvait-il se souvenir d’elle ? Simplement parce qu’il n’était as de ceux qui affichent fièrement leurs tableaux de chasse, gardant un souvenir pour chacune de leurs conquêtes. Lui, se contentait de passer à autre chose, avant de trop s’investir…avant de trop…apprécier ? N’importe qui aurait trouvé cela stupide, faux, un autre tour de passe-passe pour amadouer, encore. Et si c’était la vérité ? Bah…personne ne voudrait le croire de toute façon : à trop crier au loup, on ne se fait plus prendre.

Pour la première fois de la soirée, elle lui balança un pic de glace, léger mais suffisant pour qu’il soit surpris. Encore un changement de comportement qu’il ne pouvait expliquer mais qui lui convenait davantage. Jouer, c’était ce qu’il préférait…peut-être même autant que la finalisation d’une soirée. Elle venait de réveiller sa curiosité mais également de le blesser, volontairement. S’il y avait bien une fierté sur laquelle personne ne pouvait revenir, c’était sa vie professionnelle. La voir bafouée d’un revers de la main, comme s’il s’agissait d’un vulgaire marchand de glaces - métier très respectable, soi dit en passant -, c’était inacceptable. Son expression faciale changea, passant d’un sourire amusé à un étonnement significatif, du genre " pour qui tu te prends ?! ". Il ne dit rien, laissant un silence pesant s’installer durant quelques minutes avant de le briser.

" Bien sûr qu’il y a plus impressionnant. Il faut toujours avoir quelqu’un au-dessus de soi pour parvenir à se dépasser et réussir ses ambitions. C’est comme ça que ça marche dans ce monde… "

Il avait été plus sérieux qu’il ne l’aurait voulu, dévoilant un agacement certain. S’ils débutaient une conversation autour de son travail, il ne donnait pas cher de sa propre tête. Assurément, il deviendrait gonflant à force d’en parler, parce que les femmes ne s’intéressaient pas à ça, parce qu’elles se fichaient pas mal de sa réussite, du moment qu’elles pouvaient pleinement bénéficier de sa carte de crédit. Il reporta son attention sur son verre et le vida d’une traite, regrettant instantanément ses paroles et sa réaction à brûle-pourpoint. Il se tourna à nouveau vers elle lorsqu’elle lui donna son nom. Enfin ! Il lui convenait parfaitement et bien qu’il semblait familier, il ne fit aucun rapprochement. Il choisit de reporter toute son attention sur elle, sans repenser à ce qu’il avait pu lui dire, espérant que tout n’était pas perdu. Elle avait beaucoup de charme et ce naturel qu’il aimait beaucoup, même si elle réagissait comme une fille facile. Perdu dans ses pensées, il lui fallut un temps avant de comprendre sa dernière phrase. Il sourit, son agacement disparaissant automatiquement à sa réplique.

" J’aimerais beaucoup…mais je crains d’en demander trop. Je ne voudrais pas que ma compagnie vous lasse ni que vous vous sentiez obligée par rapport à ce que j’ai fait tout à l’heure. "

Il sortit à nouveau son portefeuille et appela le barman pour payer leurs consommations. Il se leva de sa chaise, l’air de rien, mettant un terme à leur entrevue. Déjà ? Avait-il changé d’avis ?

" Je vous propose un lieu différent, où nous pourrions déguster des douceurs autour d’un autre verre, si je peux abuser de votre gentillesse Mademoiselle Choi ? "

Il sourit, là encore plus charmeur que jamais, imprégnant son regard dans le sien en espérant y laisser une trace indélébile. Il n’était pas question de l’emmener chez lui ni dans un quelconque hôtel. Ils n’étaient pas suffisamment proches pour qu’il tente quoique ce soit, même si elle devait se douter de ce qu’il avait en tête. Oui, parce qu’elle le considérait déjà comme un prédateur : faire une rencontre dans un bar, glisser quelques compliments en se lançant des regards entendus, n’était-ce pas explicite quant à ce qu’il attendait d’elle ? Il la voulait sienne pour cette nuit ou une autre…mais il ne connaissait que trop bien les méfiances féminines. Aussi, il n’essaierait même pas une approche, à peine un léger contact peut-être, mais jamais un geste déplacé. Elle devait avoir confiance en lui, croire qu’il était un véritable gentleman, qu’il savait se tenir en compagnie d’une charmante jeune femme pour envisager une suite possible. Elle se laissait désirer face à un homme en apparence serein et posé, alors qu’en fait il aurait aimé brûler les étapes ou au moins qu’elle lui parle davantage d’elle. Il aurait sûrement l’occasion de lui poser d’autres questions si elle acceptait de le suivre…à moins qu’elle ne change ses plans et décide de retourner sa veste ?

Spoiler:

Cette femme possédait un franc parlé qui aurait stupéfait plus d’un coréen ! Même notre Casanova National semblait troublé par ces avances directes, sans plus qu’aucun sous-entendu ne soit nécessaire. C’était carrément vulgaire et provocant, un peu trop à son goût mais il n’était plus question de faire machine arrière lorsqu’une femme telle que Mademoiselle Choi vous proposait le paradis. Elle réalisa également le premier contact en passant son bras autour du sien, lui demandant d’un air curieux et amusé leur destination. Au Septième Ciel Pardi ! Cela ne se voyait-il pas comme le nez au milieu de la figure ? Il répondit à son sourire avant de prendre la parole.

" Pareil à un magicien, je ne peux pas vous dévoiler mes tours… "

Il ouvrit la marche et traversa la salle, Hye Sun à son bras, essuyant quelques regards mauvais de la part des rapaces accoudés au bar et toujours seuls. Des assassins oculaires, certes. Mais qu’importe ! N’était-il pas celui qui remportait le butin ? La compétition n’était pas réelle puisqu’il n’avait pas d’adversaires, du moins pas qui soient de taille à affronter ses années d’expérience. Il maintenait la cadence, bien que ses membres lui ordonnaient d’accélérer le rythme. Ils sortirent ensemble du bar et tout en continuant à marcher, Seung Woo usa à nouveau de ses tactiques si particulières. Il appela un taxi dans lequel il fit rentrer la demoiselle avant de la suivre, indiquant une rue tout à fait commune et pour le moins basique.

C’était donc cela, être un gentleman ? L’emmener simplement au centre ville ? Ne fallait-il pas prendre sa voiture, pour plus de proximité, avant de lui faire voir Seoul sur les hauteurs, illuminée de mille feux ? Un classique…mais quel manque d’originalité ! Et puis, il fallait penser au côté pratique de la chose : s’ils avaient du choisir une voiture, quel casse-tête ! Prendre celle de notre agent immobilier préféré signifiait " je te kidnappe et tu devras rentrer chez toi par tes propres moyens, parce qu’il est hors de question que j’me bouge " tandis que prendre celle de la jeune femme signifiait " après le champagne de tout à l’heure, je ne peux pas me permettre de dépenser en essence, désolé ". Voilà qui résolvait le problème et ajoutait un peu de piment à la soirée…car il était certain qu’elle ne se doutait de rien.

Le taxi les laissa au pied d’un gratte-ciel et Mister Kang paya le chauffeur avant de tendre la main vers sa compagne pour qu’elle la saisisse. Ils entrèrent dans l’immeuble où le gardien salua d’un signe de tête les deux jeunes gens. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent pour leur faire de la place, ce qui ne manquait pas pour ce genre de bâtiment. Seung Woo enfonça le dernier bouton en regardant les chiffres s’allumer un à un, sans lui prêter davantage d’attention. Céder maintenant, c’était avouer ses pulsions animales et jamais il n’aurait laissé le désir prendre le pas sur cette attitude qu’il avait mis des années à construire. Elle devait nécessairement se demander ce qu’il faisait dans un immeuble qui accueillait généralement des fonctionnaires et ne possédait ni chambre, ni restaurant. Il lui jetait des regards en coin, à la fois amusé intérieurement et excité comme quelqu’un qui prépare une surprise en sachant que l’autre ne se doute de rien. Une sonnerie simple annonça qu’il venait d’arriver et les portes s’ouvrirent sur un pallier nu, sans rien d’autre qu’une porte de chaque côté. Il se défit de sa cravate et s’approcha derrière la jeune femme pour la lui passer, non sans souffler sur sa nuque.

" Ne m’en veuillez pas…il s’agit simplement de vous maintenir en haleine. "

Elle ne broncha pas lorsqu’il lui banda les yeux et saisit sa main pour qu’elle puisse le suivre. Il ouvrit la porte et avança avec elle sur ce qui devait être le toit. Il se replaça derrière elle et retira le plus délicatement du monde le bandage.

" Bienvenue dans mon jardin secret… "

Hj : je n’ai volontairement rien décris de ce jardin, sachant pertinemment que ton imagination seule pouvait largement faire mieux que la mienne - c’est un challenge pour voir si Seung Woo peut encore épater Hye Sun XD - ! ^^ Je rajouterai certainement deux trois ingrédients mais la recette sera parfaite <3

Il regarda sa silhouette s’approcher du bord, non sans un certain air de triomphe. Cette carte-là n’était peut-être pas sa seule maîtresse, mais elle avait ce petit côté naturellement onirique qui faisait battre le cœur de ces dames. Si elle n’avait pas été là, une autre en aurait profité et sa réaction aurait été identique : la vue était imprenable. Certes, il avait du batailler pour obtenir cette exclusivité qui lui coûtait cher, mais en attendant de dégoter un autre panorama, celui-ci faisait toujours son effet, pour son plus grand plaisir. Il la vit se pencher mais prêta davantage attention à ce qu’elle tenait entre ses doigts : sa cravate se faisait la malle. Il amorça un geste avant de reprendre sa place comme si de rien n’était, répondant au sourire de la jeune femme. Elle ne l’avait pas fait exprès, n’est-ce pas..? Pourquoi lui en vouloir ? Ce n’était pas un stupide accessoire non indispensable qui allait le rendre moins charmant, si ? Parce qu’il ne s’agissait pas d’un banal bout de tissu supplémentaire assorti à son costume, mais bien d’une cravate importé d’Italie, entièrement réalisée à la main avec broderies sur soie et initiales !!! Combien avait-il dépensé pour elle, sans avoir rien d’autre depuis le début de la soirée que des avances et une main sur son bras ?! Oui parce que la seconde passion de Seung Woo après les femmes, c’est bien sûr l’argent ^^ : deux loisirs incompatibles me direz-vous, surtout lorsque le premier dépouille le deuxième comme nous le prouve l’exemple donné aux chers lecteurs juste au-dessus. Il avait l’habitude de s’investir financièrement mais à ce stade, elle aurait déjà du au moins l’embrasser. Alors quoi ? Il devrait encore payer de sa personne pour un malheureux baiser ? Voyons jusqu’à quel point notre belle est prête à aller pour ne pas céder…

Il s’avança pour arriver à sa hauteur, mains dans les poches, regardant droit devant lui. Bien d’autres adjectifs auraient pu qualifier cette vue, mais celui qu’elle venait d’utiliser lui sembla le mieux approprié. Il aurait pu rester indéfiniment ici, à regarder l’Astre du Jour se lever, prenant la place de la Majestueuse Lune, tandis que des milliers de coréens reprenaient le cours de leur vie dans une routine lassante. C’était en cela que ces multiples rencontres étaient divertissantes : aucune femme ne ressemblait à une autre, même si la façon de les aborder pouvait parfois paraître identique. Il n’osait pas l’observer, sentant quelque chose d’inhabituel : elle appréciait sans plus ?! Un allié du Casanova fit son apparition dans cette scène romantique : le vent. Un coup du destin pour l’aider à conquérir la belle : merci ma bonne étoile ! Il se défit alors de sa veste et la passa sur les épaules de la jeune femme, non sans effleurer son cou pour retirer quelques mèches de cheveux. Il la regarda tendrement avant de reporter son attention sur la vue. Tu viens de rater ta chance gros nigaud ! N’est-elle pas plus agréable encore à détailler que ces néons à deux sous que tu connais par cœur ?! Bah…la patience est une vertu que l’on se doit d’acquérir pour prouver sa valeur…

Il se retourna brusquement et se dirigea non loin de la porte qu’ils venaient de franchir. A côté de celle-ci se trouvait une table sertie d’une nappe sur laquelle étaient posés un sceau à champagne ainsi que deux flûtes. Il déboucha la bouteille sans aucune maladresse et versa le liquide doré dans chaque flûte. Il en apporta une à la jeune femme et trinqua dans un tintement cristallin, portant le breuvage à ses lèvres, la quittant des yeux un instant. Ce n’était pas exactement ce qu’il avait imaginé…Etant donné ses avances et la façon qu’elle avait d’agir, il aurait pensé qu’elle se serait jeté sur lui, l’implorant presque de ne pas la repousser davantage. Essayait-elle de faire en sorte qu’il se languisse le premier ? Parce qu’il commençait à perdre patience notre Casanova National, et s’amuser à se jouer de lui, c’était comme donner le bâton pour se faire battre : une stupidité.

Inspirer profondément, faire comme si tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes sans jamais manifester son agacement, telle était l’attitude à adopter pour paraître plus agneau que loup auprès de celle qui le faisait attendre.

" Il me semblait vous avoir promis un autre verre…c’est maintenant chose faite ", dit-il en lui souriant.

Il la regarda boire une nouvelle gorgée de ce délicieux millésime avant de se rapprocher d’elle, passant un bras dans le creux de ses reins pour l’attirer contre lui. Il frôla sa joue et glissa dans son oreille.

" Pour ce qui est des douceurs, j’espère que celle-ci vous conviendra… "

Il sentit sa peau effleurer à nouveau la sienne et l’embrassa. Un baiser doux et tendre, une sensation agréable, une de celle qu’on aimerait ressentir pour toujours…puis ce fut plus passionné, sans brusquerie aucune ni faux semblant, un baiser qui désire et donne, tout simplement. Il laissa la flûte quitter ses doigts pour s’écraser au sol et sa main libérée vint caresser la nuque de la jeune femme, tandis que l’autre exerçait toujours une légère pression au bas de son dos. C’était une première approche fort convaincante qui donnait le ton quant au reste de la soirée qu’ils allaient passer ensemble…à moins que..?

Elle était transportée par ce baiser, cela ne faisait aucun doute, car lui-même y prenait plaisir. Alors pourquoi l’interrompre ? Il pouvait faire mieux si elle désirait, jusqu’à ce qu’ils soient obligés de reprendre leur respiration. Son visage déformé par la rage, il n’eut pas le temps de lui demander pourquoi qu’un coup violent le frappa en dessous de la ceinture. Il grimaça, arrachant un gémissement qui pouvait exprimer sa douleur mais aussi l’incompréhension quant à cette scène qui n’avait aucun sens ! En deux secondes de temps, ils passaient de sensualité à lutte - à ceci près qu’elle était la seule combattante -. Il se sentit basculer et perdre l’équilibre lorsqu’elle le poussa mais il se laissa tomber sans crainte, ses bijoux de famille l’inquiétant beaucoup plus à l’heure actuelle. Quel mal de chien ! Une faiblesse que tous connaissait, surtout les femmes, et il venait de faire l’expérience d’une hargne qu’il souhaitait ne plus jamais retrouver. Tandis qu’il essayait de reprendre ses esprits, toutes les images de cette soirée défilaient devant ses yeux : qu’avait-il bien pu faire ou dire pour que son attitude change aussi radicalement ?! Jamais il ne lui avait manqué de respect ni manifesté réellement ses véritables motivations. Il avait agi d’une façon tout à fait convenable et faussement honnête…Il releva la tête pour rencontrer des yeux non plus brûlant de plaisir, mais bien rougeoyants d’un feu dévastateur. Des yeux revolvers, hein ? Il serait mort plus d’une fois !

Elle prit la parole, n’y tenant plus, refusant de se contrôler, préférant déverser sur lui toute la haine qu’elle pouvait ressentir, celle-là même qui aurait pu se muter en centaines de lames, toutes à son encontre. Il l’écoutait attentivement, protégeant ses parties intimes et redoutant une énième attaque du genre. Il était question de mémoire, une petite-amie et..? Quoi ? Son ex ?! C’était impossible..!!! Il l’aurait obligatoirement remise si ça avait été le cas…non ? Non ?! Il était complètement abasourdi par cette révélation et comme si elle voulait lui prouver qu’il ne rêvait pas, une gifle monumentale vint le frapper en plein visage, avant que ses cheveux ne soient gratifiés à leur tour d’un shampoing au champagne. Stupéfait, il ne bougea pas, réfléchissant à leur première rencontre et surtout pourquoi il n’avait pas été capable de la remettre. Et si ça lui arrivait encore ? S’il ne parvenait plus à recouvrer la mémoire quant aux femmes qui avaient partagé des moments intimes en sa compagnie ?! Il passa une main absente sur son visage avant de fermer les yeux, grimaçant à nouveau. Sombre crétin…Comme si c’était le moment de penser à ça ! La compassion, tu connais ?! Il fuyait son regard qu’il sentait toujours brûlant sur lui, préférant ne pas l’affronter. Il n’avait plus rien du superbe, du grand Casanova. C’était un homme honteux qui se tenait face à elle.

Affirmer qu’il n’avait jamais songé aux conséquences de ses agissements aurait été en-deçà de la vérité. Il était un joueur hypocrite, un de ceux qui ne prennent jamais en compte les sentiments de l’autre. Hye Sun devait se sentir blessée, trahie et honteuse envers elle-même d’avoir pu croire en toutes ses belles paroles. S’il le méritait ? Bien sûr que oui ! Et il en était conscient…c’était peut-être en cela qu’il était d’autant plus pitoyable. C’était un enfant prit en faute pour des actes impardonnables et il détestait ça. Il se détestait tout court. Peu de solutions s’offraient à lui : il fallait choisir entre s’excuser ou endosser sa responsabilité. L’une comme l’autre ne pourrait le racheter auprès d’elle. Rétablir une réalité qui dérange, à quoi bon ? Elle n’était plus en mesure de le croire désormais…C’est le regard vide qu’il prit la parole, beaucoup moins assuré que d’ordinaire.

" Quoique je dise et même si je plaidais coupable, plus rien ne pourra t’atteindre…parce que ta haine envers moi est trop importante, n’est-ce pas ? "

Il lui jeta un regard furtif avant de se mordre la lèvre inférieure, contemplant à nouveau le mur de béton.

" Même dans ces moments-là, j’arrive encore à jouer les beaux parleurs, quel homme minable je fais ! "

Il se mit à rire de sa situation, d’un rire qui n’avait absolument rien de joyeux, avant de se passer une nouvelle fois sa main sur le visage, respirant profondément.

" Je ne bougerai pas alors si tu veux continuer de me frapper, ne te retiens pas. Je mérite plus qu’un coup bien placé et une gifle, c’est certain. "

Cette fois-ci, il la chercha du regard et crut déceler autre chose que de la hargne dans ses yeux. Il y a quelques minutes, il l’embrassait comme un premier baiser d’amoureux souhaitant déclarer sa flamme d’une manière plus explicite à celle qui venait de conquérir son cœur. Elle avait du être blessée, peut-être même plus que lorsqu’il ne l’avait pas reconnue…D’ailleurs, n’y avait-elle pas fait déjà allusion dans le bar ?! Un enfoiré…c’était ce qu’il était ici et maintenant, face à cette charmante jeune femme qui ne croirait plus en l’amour et en ses mauvais représentants. Il se mordait l’intérieur des joues en attendant qu’elle s’approche pour l’asséner de coups, plus violents les uns que les autres. Il aurait voulu s’affronter lui-même pour pouvoir se battre, trouvant là un adversaire plus qualifié que ces poings qui paraissaient minuscules -mais il ne pipait mot concernant leur efficacité-. Mais plus que tout autre chose, il aurait voulu la serrer dans ses bras, sans aucune arrière pensée ni autre mensonge, simplement pour s’excuser, sans demander pardon, juste s’excuser…Il n’avait plus le droit de penser à ce genre d’étreinte avec elle, même si celle-ci était sincère…parce que selon Hye Sun, il ne l’avait jamais été pour elle. C’est dans un murmure à peine audible qu’il prononça quelques derniers mots.

" Je n’aurais…jamais du…te faire souffrir… "

La situation était on ne peut plus compromettante : une liaison, une femme, une rupture sans au revoir et voilà ce qu’il récolte. C’était comme raconter une fable avec au bout, une morale à l’histoire où le mauvais, au départ victorieux, se retrouvait plus bas que terre. Il devait se douter que le retour de la médaille se profilait à l’horizon et que le jour où il frapperait, ce serait avec vigueur et hargne, une claque qu’on ne peut oublier. Cette claque portait un nom : Choi Hye Sun. C’était maintenant, alors qu’elle déversait sa rage sur lui, qu’il se souvenait…Une rencontre hasardeuse, involontaire mais charmante, une histoire qui sortait de l’ordinaire avec une femme tout aussi originale. Elle n’était pas de celles qui se laissent approcher facilement, avec des répliques toutes faites et quelques sourires ravageurs. Elle se méfiait toujours un peu, ne préférant pas se donner entièrement, s’ouvrir suffisamment. Elle ne se cherchait pas ni ne prenait la tête, elle vivait sa vie comme les choses se présentaient à elle, tout en étant maître de ses choix. Une battante. Une féministe. Une ambitieuse. Il allait presque oublier le cynisme aussi, l’ironie mordante dont elle pouvait faire preuve ou encore le ton incisif qui la rendait plus piquante, plus intéressante que cette autre potiche qu’elle avait joué tout au long de la soirée. Il tenta d’être placide lorsqu’elle poursuivit ses invectives brûlantes et se figea en la voyant s’approcher de lui. Il regarda sa veste chuter sans effectuer le moindre mouvement, bien qu’à l’intérieur, une révolte hurlait dans ses entrailles. La cravate passait encore, mais la veste…Il serra des dents, son rythme cardiaque s’accélérant d’un coup, mais il y avait plus urgent : elle partait. Alors quoi ? Rompre sa promesse d’homme-statue allait-il le rendre encore plus horrible à ses yeux ? Le mal était fait alors, un peu plus un peu moins…ça revenait au même. Il se releva et la rattrapa tandis que les portes de l’ascenseur se refermaient sur eux. La mauvaise surprise déforma à nouveau son visage mais Seung Woo était désormais prêt à parer à une nouvelle tentative de maltraitance. Aussi, il était plus grand qu’elle et l’espace restreint réduisait les chances de Hye Sun d’en sortir victorieuse, s’il y avait combat.

" Je ne suis pas une victime et ce qui vient de se passer n’était pas un vulgaire copier-coller d’une scène romanesque. J’ai été plus que stupide, je le suis toujours d’ailleurs…c’est pour ça que je te demande une autre chance. Parce qu’il me reste très exactement 23 étages…22, pour te convaincre et même si c’est perdu d’avance, j’peux pas te laisser sans essayer. Je regrette sincèrement et j’peux pas expliquer pourquoi j’ai pas pu mettre un nom sur ton visage… "

Il s’interrompit, jetant des coups d’œil furtifs aux étages qui défilaient un à un sous ses yeux.

" Si tu me permets d’être à nouveau avec toi, je te jure que je serai différent. Personne n’est constant et il n’est jamais trop tard pour se reprendre en main. Je suis certain que ta réponse sera négative et je le comprends, mais ça ne m’arrêtera pas. Je veux te prouver que je ne suis pas qu’un enfoiré, que je ne le serai plus… "

Un tintement sonore pour annoncer l’ouverture des portes. Sa cage thoracique ne cessait de se lever et de s’abaisser, aussi rapidement que s’il avait couru. Seung Woo était à bout de souffle parce qu’il était conscient que ses paroles devaient prendre un nouveau sens : celles-ci ne seraient pas annoncées dans le vide, histoire de faire croire quelque chose à celle qu’il tentait de conquérir. Il devait être sincère et imprimer cette idée comme étant définitive : Choi Hye Sun ou personne. Personne si ce n’est Choi Hye Sun. Même s’il s’agissait d’un visage durci par la méprise, il représentait désormais tout.

" Accorde-moi un mois, quatre petites semaines de ton existence et je te laisserai tranquille. Si tu ne vois rien d’autre en moi que ce même salaud que je suis ce soir, je disparaîtrai définitivement de ta vie, je ne serai plus qu’un mauvais souvenir. S’il te plaît… "

Essuyer autant de pics cinglants que de refus en si peu de temps, cela ne lui était pour ainsi dire jamais arrivé. Elle n’avait pas la moindre envie de le regarder et se contenait pour ne pas lui en mettre une. Malgré ça, elle l’avait laissé faire son speech avant de prendre la parole, non sans exprimer à nouveau toute la rancœur dont elle pouvait faire preuve à son encontre. De la souffrance…parce qu’elle avait encore des sentiments pour lui ? Espèce de crétin, ne prends pas ça pour une possibilité ! Elle allait lui échapper, encore, sauf que cette fois-ci ce n’était pas lui qui en avait décidé. Il la rattrapa sans pour autant la toucher, de peur qu’elle ne le rejette. Il se planta devant elle, l’empêchant de passer, cherchant ses yeux même si ceux-ci étaient noirs de haine.

" Si je veux faire mes preuves, c’est auprès de toi. J’ai jamais été un mec bien et j’veux vraiment que ça change. "

Rien à faire. Elle appelait déjà un taxi sans qu’il puisse interrompre son geste.

" Je ne me permettrai pas d’être collé à toi constamment, je te demande juste une heure par jour… "

Portière ouverte sans un seul regard. Une cruauté qu’il méritait…mais qu’il ne pouvait pas admettre. Il retint la portière et s’enfonça à l’arrière du taxi à côté d’elle, malgré ses protestations. Il n’avait même pas remarqué sa veste et sa cravate qui passaient maintenant sous les roues du véhicule.

" Tu vas me trouver encore plus méprisable de dire ça, mais je ne te laisserai aucun répit, jusqu’à ce que tu m’accordes ces quatre semaines. Parce que je suis certain que ça en vaut la peine, qu’avec toi je pourrai être différent. "

Il se tut, croyant bon de cesser ses supplications. Il s’accrochait à elle comme si c’était la seule personne capable de le sortir d’une impasse : une vie qu’il avait trop longtemps connu, qu’il ne concevait plus. Il était jeune, beau, doué dans ce qu’il entreprenait, possédait un héritage considérable et un nom dans le monde commercial. Sa réussite professionnelle lui avait ouverte d’autres portes qui paraissaient pourtant inaccessibles, quelques années auparavant. Seulement voilà, il pouvait tout faire pour se rendre heureux, il ne l’était pas. Il se sentait vide, incapable de partager quoique ce soit avec quelqu’un d’autre que lui-même. C’était décevant et honteux, d’arriver à ce stade de son existence pour se rendre compte qu’on est prisonnier d’un bocal, enfermé dans une sphère étouffante à la manière d’un poisson rouge. Elle n’allait certainement pas accepter cette présence incongrue très longtemps, si bien que le chauffeur s’arrêta quelques rues plus loin. Elle descendit non sans lui laisser le soin de payer pour eux…Portefeuille : dans la poche intérieure de sa veste. Il poussa un juron, jetant un coup d’œil furtif à la jeune femme qui lui filait entre les doigts. Il retira sa montre et la tendit en chauffeur, assurant de sa qualité. Celui-ci n’était pas convaincu mais Seung Woo était déjà dehors, à la recherche de cette silhouette qui martelait son esprit. Il courut, la cherchant du regard parmi une foule dense et rapide. Ses yeux balayaient les visages et il se mettait à bousculer tout le monde, la croyant perdue à jamais. C’était une réaction stupide puisqu’il se souvenait de tout : son logement, son lieu de travail, son odieux patron, son visage serein au réveil, ses rares éclats de rire, la façon qu’elle avait de mettre ses cheveux derrière son oreille…Hye Sun...

" HYE SEUN SHI !!! "

Un cri qui venait du cœur, qui avait fait se retourner une bonne dizaine de personnes devant lui, juste le temps pour voir des talons hauts et une démarche assurée faire comme si de rien n’était. Il pressa le pas, rencontrant au passage quelques regards interloqués et surpris. Il s’apprêtait à saisir son bras mais retint son geste au dernier moment.

" Laisse-moi au moins te raccompagner… "

Bon d’accord, ce n’était pas ce qu’on pourrait appeler une réaction attendue. Et alors ?! Qui se souciait d’avoir vu sa fierté disparaître en quelques secondes ? Certainement pas lui…du moins, plus maintenant.

Qu’est-ce qui fait que malgré toute la logique du monde, on ait envie de faire le contraire de ce qu’on est sensé faire ? Prendre ses jambes à son cou pour fuir ou simplement se résigner, accepter l’idée d’être stupide à s’acharner de la sorte, deux des propositions les plus raisonnables en soi…Si seulement la vie était raisonnable…Quoique non en fait, ce serait beaucoup trop ennuyeux. Les critiques cinglantes pouvaient fuser, de la même façon que ses yeux pouvaient l’assassiner, du moment qu’elle ne les détournait pas ! S’entendre être apostrophé en pleine rue par une de ses ex l’aurait certainement incité à rebrousser chemin, sauf qu’il s’agissait de celle qu’il avait eu tellement de mal à faire flancher, celle qui avait manifesté le plus de résistance, celle qui venait de lui faire sauter au visage son statut d’enfoiré national. Elle avait beau l’invectiver, ses paroles continuaient à le marteler, parce qu’elle en demandait encore, parce qu’elle avait besoin de lui faire comprendre à quel point il pouvait être ignoble. Il n’essayait pas de prendre ça comme une façon détournée de le retenir, ça ne l’était pas…mais Ô combien il était reconnaissant qu’elle lui adresse la parole ! Lorsqu’elle s’arrêtait, il en faisait de même, laissant toujours une distance plus que raisonnable entre eux. Il l’écoutait, sans moquerie ni jugement, encaissant les coups…qu’il méritait.

" Notre société marche au culot et tu sais que je ne laisserai pas tomber sous prétexte que je suis une pourriture, et encore moins parce que ma fierté de séducteur a été laminée. Alors oui, je suis sacrément gonflé de t’importuner encore et je l’assume pleinement. "

Il parlait suffisamment fort pour qu’elle l’entende, parce qu’il restait derrière elle, trouvant que cette place était encore celle qui lui conviendrait le mieux étant donné l’incident qui s’était produit quelques minutes auparavant. Il accéléra l’allure et réduisit la distance, sans pour autant ne serait-ce que l’effleurer.

" Comment pourrais-je parler de sentiments alors qu’au moindre mot je me ferais fusiller ?! Tu serais incapable de croire les tendresses que je veux te dire…et il n’a jamais été question de te négocier, je… "

Il tendit la main vers elle pour saisit son bras et s’interrompit. Jouer le timide ne l’avait jamais réussi alors quand ce n’était plus du jeu mais bien la réalité, c’était d’autant plus embarrassant. Le Grand Casanova des Temps Modernes avait déjà perdu son éclat et son splendide depuis une heure : il était redevenu le vulgaire goujat qu’on espère avoir le plaisir de retrouver sous sa chaussure. Désormais, il tentait tout et n’importe quoi, du moment qu’il gagnait quelques secondes supplémentaires, c’était d’un lamentable ! Il aurait ri de lui-même s’il en avait eu le courage et la force...la plaisanterie n’était plus au goût du jour. Il savait ce que l’expression se battre pour quelque chose signifiait, mais pour quelqu’un, c’était une autre paire de manches. Jamais il n’avait eu à se rendre aussi minable dans l’espoir de toucher le cœur d’une femme. Faire des pieds et des mains pour obtenir un numéro de téléphone, liquider quelques milliers de yen en cinq secondes pour avoir un rendez-vous, tout cela pouvait rentrer dans ses cordes…mais pas ce qu’il vivait actuellement avec Hye Sun. Maladroit, agaçant et lourd, quelques adjectifs indispensables pour le qualifier dans l’immédiat. Comme s’il pouvait encore s’étonner de sa stupidité ! Il avait bien été suffisamment abruti pour en oublier jusqu’à celle qui avait partagé quelques mois de son existence. Il fallait être fou pour laisser une fille pareille lui filer entre les doigts…fou ou mentalement dérangé : ça revenait au même en fait =.= Il s’avança un peu plus pour être à sa hauteur et annonça, l’air grave, sans la regarder cependant.

" Pardonne-moi encore pour ce que je vais te dire, mais mieux vaut accepter tout de suite plutôt que de m’avoir sur le dos durant une décennie. Parce que c’est ce qui va se passer, crois-moi…et m’envoyer au trou n’y changera rien ! Je serais prêt à faire n’importe quoi pour que tu acceptes… "

Il avait accentué sa dernière phrase comme si le monde entier dépendait de ces mots. C’était précisément parce qu’il était conscient de l’impact de ses paroles qu’il se permettait d’être aussi sûr de lui. Jamais décision de rédemption ne fut si facile : il allait se prendre en main à partir de maintenant et oublier sa vie de débauche. Les dés étaient jetés et il fallait à tous prix que le destin agisse en sa faveur.